Quand votre enfant va mal, votre réflexe est peut-être de vouloir le calmer à tout prix ? C’est un automatisme. Vous ne réfléchissez pas. Vous réagissez à l’urgence. Car la détresse de votre enfant déclenche en vous un réel sentiment d’urgence. Il faut vite « faire quelque chose » pour que «ça s’arrête ».
Rempli de bonnes intentions, vous allez vouloir arrêter cette souffrance. C’est naturel et c’est physiologique en tant que parent. C’est un réflexe profondément ancré. Le problème c’est que votre bouton d’alerte est un peu déréglé. Il se déclenche tout le temps et il confond « danger » et « souffrance ». Votre alarme d’urgence ne devrait se déclencher que pour les dangers vitaux. Si votre enfant a faim, soif, ne dort plus, est blessé, menacé, en danger ou si c’est un nourrisson. Alors votre instinct doit prendre le relais et vous devez réagir très vite ! C’est certain.
En dehors de ces cas là, les souffrances que rencontre votre enfant sont des réactions émotionnelles tout à fait naturelles. Elles sont naturelles parce qu’elles sont communes à tous les êtres humains. Nous partageons tous les mêmes émotions (joie, colère, tristesse, peur, dégout, jalousie/envie). Mais les émotions ont été “diabolisées”. Simplement parce qu’on les connaît mal, on ne les comprend pas et elles nous dérangent.
Personne ne nous a appris à décoder nos ressentis. Personne ne nous a expliqué comment fonctionne un être humain. Enfin c’est pas tout à fait vrai, car biologiquement parlant, on nous a enseigné beaucoup de choses, mais psychiquement parlant, on frôle le néant. Nous sommes des êtres avec un corps, des pensées et des émotions. Mais on nous apprend uniquement comment fonctionne le corps. Et le reste ?
Le reste est tout aussi naturel que le corps. Ressentir de la peur, de la tristesse ou de la joie est aussi naturel que de respirer ou de manger. Ce n’est ni mal, ni bien. Cela fait juste partie de la condition humaine. Or, dans l’inconscient collectif, ce qui est lié au psychisme est facilement associé à la folie, encore de nos jours. « Je n’ai pas besoin d’un psy, car c’est pour les gens qui ont des problèmes ». Non, c’est pour les gens qui ont des émotions et qui veulent comprendre comment ça marche.
En gros, la seule « école pour émotions » qui existe se trouve dans les cabinets thérapeutiques (psy ou autres méthodes holistiques) ou éventuellement sur les bancs de la fac de psycho. Autant dire que beaucoup de gens n’y sont pas sensibilisés. Pourtant, nous sommes tous concernés.
Aussi sûr que les premiers secours devraient être enseignés à l’école dès l’âge de 6 ans, on devrait apprendre aux enfants comment fonctionnent leurs émotions et leurs pensées. Pas de manière scientifique ou neurologique mais de manière pratique. Pour leur apporter une connaissance de terrain. Dans la vraie vie, ça donne quoi ? Avec des vrais gens ça ressemble quoi ? Grâce à cet apprentissage, la société ferait un bond humain de 100 ans en avant.
Mais en attendant que ce projet voit le jour dans les écoles, c’est à vous – parents – que revient ce rôle. Cela va demander du travail et du courage. Cela ne sera pas naturel au départ. Il faudra progressivement balayer vos vieilles croyances et vous lancer dans l’inconnu. Mais si vous partagez la conviction que c’est essentiel pour vos enfants et que cette connaissance d’eux-mêmes peut changer les choses et leurs relations aux autres, vous trouverez l’énergie de vous lancer.
Car au départ, c’est vous qui allez vous y coller ! Il va falloir vous lancer à l’abordage de vous-même et de vos propres émotions. Contrairement à un cours d’anatomie, vous allez pouvoir étudier un sujet vivant. Car les émotions s’étudient en les vivant. Elles s’expérimentent au quotidien, face à de vraies personnes, avec de vraies relations et des vrais problèmes. Pas d’éprouvette, ni de statistiques. Juste vous, les autres, votre condition humaine et le monde comme terrain de jeu. Passionnant, non ?
Comme toute exploration, C’est plus confortable de faire le voyage avec un guide au départ. Le thérapeute que vous aurez choisi jouera le rôle de ce guide. Car si vous n’avez jamais vraiment observé vos émotions et vos ressentis, ce n’est pas naturel de tourner votre regard vers l’intérieur. Vous avez peut-être plutôt l’habitude de vivre vos vagues émotionnelles comme on vit des éternuements ou des gargouillis dans le ventre, sans vraiment les contrôler et en les trouvant très gênants dans certaines situations.
Ce qui est intéressant, c’est que vous n’êtes pas obligés d’attendre d’être expert en la matière pour partager vos découvertes avec votre enfant. Personne n’a besoin d’être expert en digestion pour apprendre à un enfant à manger. C’est exactement la même chose avec les émotions. Au fur et à mesure de vos observations sur vous-même et de votre travail thérapeutique, vous serez à même guider votre enfant vers la découverte de soi et la découverte des autres. Il sera capable de construire une confiance saine et des relations nourrissantes.
Donc, pour conclure, quand votre enfant ne va pas bien, qu’il est triste ou angoissé, pas d’affolement ! Restez zen et demandez lui : qu’est-ce qui ne va pas ? Qu’est ce que ça te fait dans ton cœur ? Et de quoi tu as besoin ? Vous allez souvent être surpris par la pertinence de ses réponses. Car les enfants savent très bien être à l’écoute de leurs émotions. Ils ont juste besoin qu’elles trouvent une place et du sens dans le monde dans lequel ils évoluent.
Quand votre enfant expérimente quelque chose, il en parle naturellement avec vous. Quand il en parle avec vous, ne sortez pas tout de suite le costume de « super maman » ou « super papa ». Essayez de ne pas porter toute la responsabilité de ce qu’il vit sur vos épaules.
Partagez plutôt avec lui ce que vous pensez de la situation et invitez-le à vous expliquer, avec ses mots, ce qu’il en pense. Même un enfant de 2 ans, s’il sait parler, est capable de vous expliquer ça. Au départ, vous allez le guider dans cette réflexion. Vous pouvez lui proposer des idées. Essayez de nommer les émotions qu’il peut ressentir. Et s’il les confirme, validez que c’est normal de ressentir ça. Puis petit à petit, il va gagner en autonomie. Il va être de plus en plus capable de décrire ce qu’il ressent, ce qu’il pense, ce qu’il trouve injuste ou ce qu’il trouve magnifique.
Essayez de créer des moments comme ceux là. Des moments de dialogues où il peut prendre du recul sur sa journée.
Vous rentrez de l’école avec votre enfant de 5 ans.
– « Comment s’est passé ta journée ? » (La question est ouverte. Soyez prêts à accueillir tous types de réponses.)
– « Mal »
– « Qu’est ce qui s’est passé ?»
– « Myriam m’a dit qu’elle ne serait plus jamais, plus jamais, plus jamais de la vie ma copine ».
Il se met à pleurer à chaudes larmes, le cœur brisé.
– « Ca te rend triste ? » (Proposez une émotion. C’est une proposition ouverte, il peut dire « non, je suis en colère » par exemple.)
– « Oui, très triste ! »
– « Je comprends. Ca fait très mal quand un meilleur ami dit des choses comme ça » (Validez ce qu’il ressent. Dans ces cas là, cela ne sert à rien de minimiser. Servez-vous de ce que vous avez vécu dans votre vie pour comprendre ce qu’il vit. C’est de l’empathie. Et ce n’est pas dangereux. La situation qu’il vit est absolument normale, naturelle pour un enfant de 5 ans. Ne cherchez pas à déformer la situation ou son ressenti pour que cela soi plus agréable… pour vous !)
– « Oui ! »
– « Tu sais pourquoi elle a fait ça ? » (Invitez-le à réfléchir à la cause. Peut-être qu’il a eu une attitude qui n’a pas plu à la petite fille et qu’il pourra corriger ? Ou pas.)
– « Non… moi je voulais être son ami. Et elle, elle m’a dit ça »
– « C’est dommage. Elle se prive d’un super ami » (Sans en faire des tonnes, montrez-lui qu’il vaut la peine)
– « Oui… (toujours en larmes) elle a annulé un meilleur ami ! »
Vous aviez peut-être observé la petite fille quand ils jouaient ensemble à la sortie de l’école ? Si avez remarqué qu’elle était très volatile. Une chouette petite fille qui changeait d’idée tout le temps et qui passait d’un enfant à l’autre pour jouer. Partagez avec lui cette observation.
– « Tu sais, peut-être que Myriam c’est une petite fille qui change souvent d’avis ? Il y a des gens comme ça. Certains enfants aiment garder toujours le même ami et d’autres enfants aiment bien changer tout le temps. Tu penses que Myriam change souvent d’avis ? »
– « Oh oui, elle change tout le temps d’avis ! » (Il valide ce comportement. Il se trouve que cela fait sens pour lui.)
– « Alors peut être qu’elle changera encore d’avis et qu’elle redeviendra ta copine ? »
– « Non, parce qu’elle a dit qu’elle serait PLUS JAMAIS ma copine »
C’est sa croyance/sa vérité du moment et elle est cohérente. De plus, vous ne pouvez pas avoir la certitude de ce que vous affirmez. C’était juste une des nombreuses manières de voir les choses.
Maintenant, la minute parentale : Qu’est ce qu’il peut tirer comme conclusion « définitive » d’un événement comme celui ci ? Et qu’est ce qu’il peut enregistrer comme croyance sur lui ou sur les autres à partir de cette expérience ? Allez plus loin. Les enfants font leurs apprentissages grâce à leur capacité de généralisation (par exemple : si ce qui a 4 pattes est un animal, alors un chat est un animal). S’il généralise cette expérience, il peut penser que tout le monde, ses parents inclus, peuvent changer d’avis et le jeter comme ça ! Rassurez-le avec conviction :
– « Tu sais, moi je changerai jamais d’avis. »
Il s’arrête net, très surpris par ce que vous venez de lui dire.
– « Moi je suis ta maman, et quoi que tu fasses, quoi que tu dises, je ne changerai jamais d’avis. Je t’aimerai toujours et je serai toujours là. Il y aura d’autres enfants ou d’autres personnes qui pourront changer d’avis souvent dans ta vie. Mais moi je suis sûre que je ne changerai pas d’avis. »
Et là, il dit :
– « D’accord. Mais moi des fois je change d’avis avec toi… ?! Des fois tu m’énerves et je ne t’aime plus trop et des fois je t’adore. » (Il est allé vérifier chez lui ce qu’il ressentait. Si lui aussi pouvait faire une telle affirmation ou pas ; Et il a découvert que lui aussi il pouvait changer d’avis.)
Rigolez avec lui. Et rassurez-le.
– « Ah mais ça c’est ok ! Tu as le droit de changer d’avis. Tu as le droit de m’aimer et de ne plus m’aimer. C’est normal. Mais moi je suis ta maman et je ne changerai pas d’avis pour ça, je t’aimerai toujours. »
Quand votre enfant est rassuré, ça se sent et ça se voit. Il passe à autre chose et recommence ses jeux.
Quelques jours plus tard, il rentre de l’école tout joyeux.
– « Comment ça s’est passé à l’école ? »
– « Bien ! J’ai joué avec Myriam à Trap’ trap’. »
– « Ah ! Super ! Vous êtes redevenus des amis ? »
– « Ben oui ! Tu sais quoi ? Elle a changé d’avis »
Et la boucle est bouclée. Cette expérience de vie aura été douloureuse mais bénéfique. Il aura compris une nouvelle chose sur le fonctionnement des autres et sur son fonctionnement aussi. Il aura eu l’assurance que certains liens sont plus forts d’autres. Il aura appris à pardonner. En devenant adulte, il saura, j’espère, reconnaître quand il se trouve en face d’une « girouette » et il saura qu’il a les ressources en lui pour réagir à la situation du moment.